©

Raymond Géneau, »gémir n’est pas de mise »

D’abord, il y a l’apparence. La cinquantaine hésitante entre l’avenir et le passé, une barbe en noir et blanc assortie de ces petites lunettes rondes qui tiennent à distance les autres gens, une canne pour certifier que parfois le mal de vivre donne de l’élégance. Raymond Géneau peint au delà des apparences, les angoisses. Artiste vivant et travaillant à Calais, il a préféré bourlinguer à l’intérieur de lui-même. Bouger c’est aller voir les autres et être déçu. Son œuvre est une constante plongée tellurique dans les arcanes de la vie. Avec deux pôles magnétiques qui s’annulent ou s’échauffent, les deux moments les plus troublants du passage terrestre, la naissance et la mort. Raymond Géneau ne s’est jamais remis du premier traumatisme pour mieux se préparer au second. Sa peinture n’interroge que lui-même pour répondre aux questions universelles. De petits personnages stylisés que l’on peut croire venus d’antiques réminiscences, d’une autre culture, s’agitent vainement avant de trouver le repos. Des fœtus à la fête, des morts clownesques, et Dieu, lequel ?, pour tirer les ficelles. Nativité, crucifixion, tombeau, résurrection. La renaissance est une autre mort. Pourtant, les couleurs seraient prêtes à paraître chatoyantes alors qu’elles se retiennent. Géneau sait aussi mesurer sa palette .L’introspection lui donne un ton, un style. Cette première rétrospective - fallait-il écrire « rétrospection » ? -, confrontation des époques ou négation d’une évolution, révèlera pourtant la disparité de sa production sous couvert d’un maniérisme répétitif, méthodique. La singularité d’une œuvre, autre définition du talent, peut provenir de la peur d’être inconsistant.

Claude Marneffe

 

Arras 1999

La CICATRICE

 

Les plaies de l’âme les plus profondes se creusent dès l’enfance la plus tendre, quand le poète est encore muet ; Les tortionnaires de l’innocence sont les propres parents, inconscients, ivres d’alcool et de pauvreté. Elle sont de celles qui ne cicatrisent plus jamais, constamment avivées par les agressions du quotidien. Tel Sisyphe,  l’aigle taraude le ventre de l’artiste.

L’âme du poète erre parmi les tessons d’une vie suppliciée et au milieu des déchets du désamour, comme un orpailleur, il recherche avidement quelques paillettes d’amour oublié.

Un jour la mort est venue, mal décidée ; elle l’a flairé de son mufle putride, soigneusement, longuement, avant de l’encorner au plus profond des entrailles d’un coup mal ajusté ; puis elle a hésité à porter le coup fatal, s’est retirée, l’abandonnant, pantelant, futile poupée désarticulée, au chirurgien qui lui fouille le ventre à pleine main et lui façonne la cicatrice du corps.

De ce voyage au bord du Stycx, seul, sans l’aide de Choron, on revient bouleversé à jamais, l’âme et le corps marqué au fer rouge de cette cicatrice, étoile de sang indélébile,  porte ouverte sur l’intérieur des souvenirs et des plaies acides ou le poète trempe sa plume.

Un oeil blafard se forme, qui regarde ce monde par le trou de la cicatrice.

 

Ch Evrard, 08/2002 

 

 

St Pierre, 1995

© Raymond Geneau